Emprunté à la transparence d’une forêt sans rose
Pierre Gerard
Né en 1966, Pierre Gerard vit et travaille à Liège. Dans sa production se mêlent sculpture, peinture, et installation.
Il réalise des objets-sculpture, véritables petites architectures ayant comme particularité d’être constituées d’éléments en carton, bois, plâtre, cuir, textile… que l’artiste glane au hasard de ses déambulations. Tant la forme que la matière l’inspire. L’ensemble est ensuite longuement travaillé et parfois installé dans un contenant en bois, en plastique ou en verre. Ces petits volumes demandent qu’on s’y attarde, que notre regard s’y habitue pour mieux s’y perdre et en capter toute la poésie.
Sa production picturale, figurative ou abstraite est volontairement limitée. Pour les compositions monochromes, la peinture à l’huile adjointe de cire d’abeille est déposée sur le carton en de grands aplats colorés d’apparence velouté.
Les peintures figuratives, « images volées » comme il les nomme, nous interrogent sur le traitement et la valeur des images aujourd’hui.
Depuis le milieu des années 90, Pierre Gerard fait l’objet d’expositions tant privées que collectives et est présent dans de nombreuses collections.
L’exposition aux Drapiers donne à voir une sélection d’œuvres datant de 2000 à 2019, entre la peinture et l’objet.
- sans titre, coquillage de jardin, cône de carton, sable, bois divers, feutre, 21,5 x 16x 14, 2019.
- Kaas, technique mixte, 8,8 x 8,6 x 8,4 (position variable), 2018.
Texte de Christophe Veys
Pierre Gerard est aux Drapiers et que ce lieu lui va bien !
À la vitrine, il intrigue. Dès la première salle, il convainc: les peintures figuratives en grisaille, le monochrome jaune ardant et ces prodigieuses sculptures. À l’instar du poète Francis Ponge, Pierre Gerard s’attache aux petits riens qui jalonnent nos existences. Mais lui les détourne, les assemble. Rassembler, faire que cela tienne. Rien de plus objectif si l’on songe à une volonté d’unir des choses. Faire tenir est tout autant objectif que subjectif. Chez lui, il faut que cela tienne. Cela peut prendre quelques minutes mais le plus souvent, cela prend des années. Rien n’est plus délicat que sa façon d’agencer des éléments perçus comme disparates. Observons les bien! Le recours à des matériaux naturels (bois, sable, feutre, cuir, éléments organiques …) est omniprésent. De même, le dialogue entre stabilité et déséquilibre, entre compact et fragile. Le travail de Pierre Gerard ne serait-il pas une nouvelle réponse à la question posée par Alphonse de Lamartine :
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »
Traverser la cour, c’est vivre le réel qui tout à coup se pare d’échos au travail de l’artiste. On y voit des escargots, on vit avec force les formes colorées qui ponctuent les fenêtres, le plan d’eau devient lui aussi monochrome.
Dans les deux dernières salles, le rapport s’inverse, les peintures dominent. Celles, figuratives où les êtres isolés semblent perdus, égarés, mais sont toujours créatifs. L’un se construit une identité au genre mouvant alors que l’autre rassemble divers éléments afin de créer une embarcation. Et puis cette nouvelle série de monochromes. Vivants, joyeux, déterminés et pourtant, si l’on y regarde bien, débordants (ici par le gras de l’huile, là par des lignes de crayon). À leurs côtés, une peinture d’un bloc de marbre presse-papiers stabilisateur et comme pour rouvrir le débat une sculpture complexe, énergisante où la géométrie de bâtonnets de bois rencontre le sable et les courbes d’un outil de tracés d’architectes.
Rencontrer son œuvre, c’est faire cette expérience sensible de constater que cela tient comme un poème. Mélange improbable de réel, de magie et d’un savoir-faire à l’apparence anodine.
Christophe Veys – mai 2019