Plaques Tournantes

Chantal Hardy, Luc Bienfait et Miel Silbernet

Du samedi 28 mars au jeudi 30 avril 2015
Du jeudi au samedi de 14h à 18h

Dans le cadre de la 10e Fête de la Gravure Contemporaine, la galerie d’art contemporain Les Drapiers réunit les travaux de trois artistes belges Chantal Hardy, Luc Bienfait et Miel Silbernet. L’exposition Plaques Tournantes propose un corpus de trois univers apparemment éloignés les uns des autres. Se constituant en un carrefour de rencontres, le lieu d’exposition fait émerger de subtiles correspondances entre les travaux, donnant ainsi l’occasion de découvrir ou de redécouvrir les œuvres de ces graveurs sous une densité nouvelle. Les interprétations se renvoient l’une à l’autre, fusent, tournent, fertile terrain de confrontation dans les espaces de la galerie.

On rencontre une collection de portraits avec une technique proche du dessin pour graver le murmure du vivant de nos proches par Luc Bienfait, une scénographie du procédé d’apparition de l’image avec l’implication du corps du spectateur dans les œuvres même pour Chantal Hardy, l’exploitation de la répétition qu’offre la technique de la gravure avec une recherche sur le motif pour Miel Silbernet, qui propose également deux collaborations avec deux artistes du collectif Tremens dont elle fait partie.

Les œuvres de Chantal Hardy, Luc Bienfait et Miel Silbernet, se rejoignent par leurs réflexions respectives autour des thèmes de l’absence et de la présence, de l’apparition et la disparition. L’exposition interroge et met en rapport autant la diversité des formats, des supports et techniques de la gravure que les sujets traités par les artistes. Le médium que constitue la gravure est abordé différemment selon les artistes qui le confronte ici à la peinture, au collage et à l’installation.

Les éditions / Galerie K1L sont spécialisés en œuvres sur papier (dessins et estampes) et éditent le magazine ACTUEL « Parlons Gravure ». Ils seront présents dans l’exposition avec les magazines et estampes liées aux numéros.

En images

Pour aller plus loin

Luc Bienfait

Une collection de portraits qui n’a de cesse de s’accroître suit Luc Bienfait qui transporte avec lui cette foule de visages, individualités touchantes et constitutives de son vécu (personnes handicapées rencontrées dans son travail, vieux voisins, un ami parti, des proches).Par sa maîtrise du geste, Luc Bienfait instaure un jeu d’ombres et de lumières, tel un procédé pour faire émerger de la matière l’énergie des êtres. On perçoit alors, au détour d’un trait, quelque part dans l’épaisseur du papier et de l’encre, le frémissement du vivant.Luc Bienfait écarte le modèle classique du portrait, pas d’épaules, pas de pause. Il isole, par un recadrage systématique, les visages pour ne conserver que l’essentiel, l’intensité de leurs expressions, porteuses d’une humanité profonde. La scène est dans le visage. L’apparition d’une présence au monde est l ‘événement singulier que l’artiste saisit.L’artiste habille ses personnages de poésie, par la production de vers, échos de leur existence, incantations pour l’image. Les mots redouble leur présence.
Ce n’est pas par hasard si Luc Bienfait puise dans le vocabulaire technique et visuel des allures anciennes de la gravure. Les travaux de Luc Bienfait fonctionnent comme une expansion de la rencontre au travers du travail de la gravure. Peu représentés au cours de l’Histoire, on peut lire un hommage à des personnages extraordinaires parfois soustraits du quotidien de notre vie en société, aux marginaux, dont la sagesse transparaît ici, immense, joyeuse et grave… portraits à aimer aussi en peinture.

 

Chantal Hardy

La pratique de Chantal Hardy se caractérise par l’imposition de fines mais profondes entailles dans la plaque de gravure, violence d’un geste pleinement maîtrisé par l’entraînement de la pratique. Cette colère est incluse dans la technique même. Chantal Hardy questionne depuis longtemps l’équilibre fragile entre l’agir et le subir, préexistant et ultérieur, induit par la violence dans l’espace privé et public, à travers la société et les actualités. L’espace griffé constitue bien souvent la matière première de ses travaux, la matière subit l’artiste.  Il s’agit de puiser toute la force contenue dans la colère pour la convertir en dynamique créatrice, générative d’autre chose que l’agressivité, renversement du processus. La violence n’est pas là qu’en représentation, l’œuvre en est une forme de trace. Elle y sommeille, dynamique et passive, le doute rode. Un possible retournement et les figures risquent d’être bouleversés. Et c’est précisément ce qui se passe.

C’est délibérément ce risque, cette tension que Chantal Hardy choisit de ne pas résoudre. L’artiste déploie une partie du lexique propre à la gravure en l’appliquant à l’espace même de l’exposition. L’œuvre se présente comme une installation dans laquelle le visiteur devient acteur, pris entre la surface gravée, griffée et la lumière projetée. La projection, qui s’apparente ici à un procédé immatériel pour imprimer, grave le temps du passage dans l’installation, les silhouettes des visiteurs. Les corps, imbriqués dans l’espace social, le sont ici, dans l’œuvre, pris dans cet espace en représentation, espace dans lequel se côtoient espoir et déchirement. L’artiste revendique un vocabulaire de la résistance, aux symboles et termes volontairement désuets car trop utilisés, qu’elle réactualise comme représentation d’actions, de positions face à la violence et au repli, équilibre délicat. C’est la deuxième rencontre de la dimension engagée du travail de l’artiste.

Motifs récurrents de l’œuvre de Chantal Hardy, des silhouettes féminines se détachent, elles aussi prises dans ce va-et-vient entre défense et repli, fragilisées et enfermées, ou protectrices à d’autres moments, constituant les piliers d’un espace. Le travail de Chantal Hardy est truffé d’oppositions, de contradictions plastiques entre forme et fond, matériaux et sens, vides et pleins. Ainsi, fragilité et délicatesse du papier de soie et des tons pastel viennent donner le change à la rudesse de la griffe, à la figuration naissante, entre les épaisseurs de la matière. Un bandeau pour laisser passer les yeux, doux confinement, insupportable enfermement se laisse entrapercevoir.

 

Miel Silbernet présente ici trois œuvres dont 2 de collaboration.

Murs mûrs

Miel Silbernet détourne le principe de sérialité de la gravure pour proposer un projet fait à partir de la multiplication d’une même gravure. Jusqu’à effacement du dessin sur la plaque sous le poids de la presse, l’artiste interroge la technique de la reproductibilité Ce faisant, elle l’exploite comme une méthode artisanale pour créer l’archétype du papier peint. La composition florale, réalité figurative et sujet par excellence des papiers muraux peints, ici traité comme un dessin d’observation, bascule dans l’univers immatériel du motif. On remarquera au passage que le bouquet, sujet de la composition, semble, lui aussi, s’être épuisé en chemin, vidé de sa vitalité. La représentation s’épuise dans sa reproduction. Les fleurs sont fanées, subtiles absences sous les motifs, l’essence fleurie se meurt. Un jeu d’oppositions poétiques s’instaure dès lors : si l’installation fait référence à une architecture en chantier, dans cette étrange construction, rien ne s’arrête de vivre, le réel prend le pas sur sa représentation. À la base de ce travail, une ultime tentative de maintenir la vie, là, derrière les fragiles carcasses fleuries. Miel Silbernet a côtoyé ses fleurs, couleurs et parfums, depuis leur arrivée dans sa vie, jusqu’à leur délicate évaporation, coquillages végétaux, trace d’un faste fleuri, festif et flamboyant. Rien qui ne soit extrait du vivant n’est immuable, pas même un sujet de gravure. On ne cessera pas de fêter les fleurs.

Les uns, les autres

La collaboration entre Miel Silbernet et Niels Bertleim donne lieu à une collection de gravures, sorte de banque de données appelée à s’enrichir. On assiste ici au tout début de la production d’un vocabulaire composé d’objets et de scènes étranges. Les allégories énigmatiques fonctionnent tel un rébus, une image en appelle une autre. S’articule un monde dans lequel la notion d’illusion est récurrente. On dévoile pour mieux dissimuler. Il s’agit de puiser dans les possibilités du figuratif pour imager des bouts de schèmes autour de la notion d’individu. La scénographie spatialise le doute, l’inachèvement de l’interprétation. La construction en cours soutient leurs recherches plastiques en devenir, à saisir dans leur évolution potentielle. Le spectateur est dans ce rôle dont la tâche est de produire, à son tour, une proposition individuelle de sens.

Le trou, le flou

Liberté Milens s’empare de l’univers de Miel Silbernet et le réinterprète en réunissant ici les deux premières productions de l’exposition et une technique exposée lors de la précédente biennale de gravure de 2013. L’artiste prend ici volontairement cette place de l’interprète en nouant ses propres réflexions à celles de sa collègue. Elle creuse et réarticule les différents éléments plastiques pour faire naître une troisième œuvre. S’instaure un dialogue. Ça et là, des références et l’emploi de techniques mixtes nouvelles, des superpositions de matières telle une métaphore d’une possible démultiplication du sens. L’univers de Miel Silbernet devient alors une matière profonde, élastique à explorer, à creuser, fragmenter . Un labyrinthe demande à être expérimenté. Liberté Milens offre ainsi à l’artiste la possibilité de prendre acte de l’effet de son travail sur une individualité. Il s’agit d’une lecture active, productrice d’un sujet en écho, une expérience en résonance, laissant une trace artistique, une intervention matérielle à son tour. L’expérimentation amplifie le sens de la réinterprétation. Du cheminement à travers les méandres de l’œuvre de Miel Silbernet s’amorce un langage autour de la mémoire, trace d’une absence mais point de départ d’invocation d’une présence, aussi floue soit-elle.

Anna Ozanne
Pour Les Drapiers, Mars 2015

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