Le risque de se faire

Jot Fau

Du samedi 11 mars au samedi 29 avril 2023
Ouvert du jeudi au samedi de 14h à 18h
Things both great and small - 2022. 28 x 10 x 10 cm / Bois recouvert de velours et de cuir, jouet cheval recouvert de cuir, portrait brodé sur cuir. Copyright Emile Barret 

De toutes nouvelles œuvres parlent de transformation, de mélange et d’hybridité. Recouvrir de cuir, de tissu une multitude d’éléments permet de révéler des gestes qui relient des entités distinctes et induisent l’idée de réparation. L’enjeu du travail consiste à maintenir vivante la matière choisie.

Jot Fau et « le risque de se faire »

Texte d’Alain Delaunois

Tout le reste n’est qu’hypothèse et rêve…
Louise Glück

… Alors on rassemble ce qu’on peut, on se fait glaneuse, on tire parti des multiples pratiques – modestes pistes de secours – que peut proposer l’art quand on s’y astreint. On regarde ce qui a déjà vécu avant et ce qui ne demande qu’à revivre après. Il faut s’élancer.

Ainsi surgissent les créations de Jot Fau. Un univers singulier, qu’elle conçoit au jour le jour, dans une grande vigilance à tenter de capter l’inattendu. Se laisser surprendre par les trouvailles, les découvertes imprévues autant qu’imprévisibles, les objets-souvenirs de vies antérieures, les jouets de l’enfance, les étoffes et les cuirs usés qui ont tant vu, et tout connu, le pire et le meilleur, les brimborions et brindilles des existences de chacun.e. Certains collectent les marrons et leurs bogues. Jot Fau choisit de petites branches de châtaigniers qui, habillées de coton pour l’occasion, deviennent les figurants vivants de cette exposition. Métaphore discrète de notre relation aux mondes naturels qui nous entourent.

Jot Fau déniche le passage dans le temps de chaque matériau, et leur passé devient son présent. Toutes ces matières devenues pour beaucoup indésirables, déchues, portent à chaque fois une (ou plusieurs) histoire(s). Ce sont parfois des chocs, des violences, des traumatismes mutiques. Ils constituent les fragments du réel profond des êtres. Jot Fau les récupère et les amasse. De ce bout de réel, elle se saisit, l’assemble, le façonne, le rapièce, le soigne, lui donne une seconde peau : elle lui rend vie avec jouissance, et dans la jouissance d’un geste précis, ordonné, avec un outillage simple et une pratique instinctive.

Réinventer ce qu’on appelle réel, chez Jot Fau, passe par un travail sur la mémoire, mais également par une grande prévenance à l’égard de ce qu’elle crée. Si Jot Fau répare et soigne, ce n’est pas seulement par la matière, qui sera associée à d’autres, cuirs de couleurs, laines, cotons, lins, cordages tressés, petites images signifiantes, enveloppes de velours, alphabets et pensées minutieusement brodés.

Il s’agit pour elle de laisser apparaître, grâce à l’objet réinventé, ce que peut être une profonde réparation intime, celle de nos pensées et de notre inconscient, et par quoi passe cette réparation. De la sensualité des corps fragmentés, protégés ou contenus (cordes, cuirasses, protections), par delà le genre, se dégage un érotisme qui ne verse pas pour autant dans la tiédeur ni dans une sexualité à l’hédonisme convenu. Il y a chez Jot Fau la mise en place d’une méthode d’évitement par rapport à la représentation standardisée aux extrêmes, puritaine ou pornographique, du corps : très justement, elle nous rappelle que le lit défait, la couette ou l’oreiller peuvent être tout autant les synonymes d’un refuge doux et bienfaisant que d’un abandon de l’autre.

On peut encore souligner dans cet univers la place ironique, nostalgique, ou vulnérable, que Jot Fau accorde aux mots, aux aphorismes, qu’elle va inscrire sur certaines de ses œuvres, ou aux titres de ses expositions. « Le risque de se faire » est aussi celui-là. Faire entrer le regardeur dans les dimensions polysémiques de l’œuvre, c’est lui donner des indices – et la possibilité d’apprécier un décalage, une distance, ou une proximité. Le cinéma et les Ailes du désir, la poésie et quelques mots, des lectures, Annie Dillard, Audre Lorde, Ursula K. Le Guin, l’humour et le double sens également : Une main qui en sert une autre, Perdre la face ou faire bonne figure, Rien à dire – tout à panser… Jot Fau, là aussi, écarte le trop couru, le # numéroté de la série, ou l’abondance du « Sans titre » de l’art contemporain. Avec elle, on accède à une part d’imaginaire sensible, où la métamorphose rend possible le retour au vivant, et aux énigmes qui traversent ses objets.

Alain Delaunois

Texte de Evelyn Simons

Du 11 mars au 29 avril 2023, Les Drapiers présentent une exposition consacrée à la jeune artiste belge montante, Jot Fau. Intitulée Le risque de se faire, l’exposition dévoile exclusivement des nouvelles productions, de petits et moyens formats.

Draps de lit, bandages, couvertures souples, cuir et points de suture – l’œuvre de Jot Fau se déploie principalement à travers ses gestes consistant à envelopper les choses et à les rassembler. C’est un processus qui vise à protéger, à cacher, mais peut-être aussi à révéler l’essence d’objets apparemment disparates, à les transcender au-delà de leurs caractéristiques contextuelles. Des objets en plastique, restes de son enfance ou de celle des autres, des reliques personnelles d’ami.e.s ainsi que des matières organiques trouvées. Des trésors de différentes époques reçoivent une nouvelle peau, équipée pour habiter l’univers cohérent de l’artiste. Elle travaille exclusivement avec des matériaux existants, convaincue que les objets sont des histoires en eux-mêmes, des vies à part entière. A travers cette croyance, les artefacts dont nous nous entourons deviennent les compagnons des trajectoires de nos vies.

Soucieuse de la mémoire, des traumatismes et du soin, elle cherche à réfugier dans la douceur. Fau aborde le corps et l’âme humaine comme des entités perméables, qui peuvent s’épanouir et survivre en se laissant imprégner par les objets et les événements qu’ils rencontrent. Être absolument poreux, dans le but d’apprendre et de se développer. Le manque de compréhension ou d’acceptation de soi pourrait être comblé en reconnaissant l’importance de ce qui nous entoure et de ceux qui nous entourent dès notre plus jeune âge.

Une série de mondes encapsulés sont suspendus côte à côte. Des étagères intimes – enveloppées de laine et de coton – portant des souvenirs d’horizons multiples. Leur rencontre se fait souvent à côté de photos obscures ou de textes brodés, les élevant en compositions allégoriques, comme des rêves opaques. La sensualité et la sexualité se mêlent à un désir de confort et de soutien. Mais les draps froissés et les parties du corps exposées pourraient tout aussi bien côtoyer des souvenirs nostalgiques évoquant des jeux et des jouets d’enfants. Ces mises en scène remarquables suscitent des associations primitives, puisant dans une logique à laquelle il est difficile d’accéder avec un esprit rationnel, mais par lesquelles il est encore plus difficile de ne pas se laisser atteindre dans les profondeurs de notre inconscient. En tant qu’archétypes, elles nous rappellent les rêves et les schémas de pensées universels qui unissent l’humanité – nos meurtrissures et nos mécanismes d’adaptation à nous tous, se ressemblent plus que nous ne le soupçonnons.

Gros plan fragmenté d’une main humaine tenant la main rembourrée d’une poupée, dans un geste de compréhension et de protection mutuelles réciproques. Un panneau enveloppé de tissu orné de branches de châtaignier, chacune d’entre elles étant habillée d’un tissage de fil de coton – humanisées, prise en charge. Des pièces comme celles-ci constituent l’épine dorsale du nouveau corpus produit par Fau. Il s’agit du caractère sacré de prendre soin (de), et d’être soigné. Une manière animiste d’être au monde et de vivre avec les choses en les considérant comme des éléments du monde vivant. A travers une attention partagée.

La troisième salle est aménagée tel un lieu de repos, un lieu permettant simplement d’être là. Une nouvelle série de bancs – enveloppés de coussins et de cuir à certains endroits, creusés à d’autres – invite les corps à s’asseoir et à fusionner. L’artiste a gravé des motifs et des dessins dans le bois, laissant au matériau la liberté d’imposer ses propres conditions. Et à son tour, le corps au repos sera marqué par ces dessins creusés dans le bois. Les cicatrices de nos âmes dessinent des motifs dans nos individualités, dans nos relations avec le monde.

Conversation avec Fanny Lacrosse

Le samedi 15 avril 2023 s’est tenue une conversation entre Fanny Lacrosse, réalisatrice de Façons de Voir à la RTBF et Jot Fau, dans le cadre de son exposition : Le risque de se faire.

Découvrez ici la version podcastée

dans le cadre du programme TALK TALK

Photo : Emile Barret

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